Comptage des aigles royaux

Chaque année, la Réserve Naturelle de la Haute Chaine du Jura organise une journée de comptage simultané des aigles royaux sur le territoire de la réserve. En 2022, cette opération a eu lieu le 23 mars dernier, et les membres des ARN ayant suivi la formation de “référents de la Réserve” ont été invités à y participer.

Différentes équipes sont réparties sur des sites d’observation pour rechercher et comptabiliser les oiseaux qui ont bien voulu se montrer. En 2022, 19 personnes ont participé au suivi, réparties sur 7 postes stratégiquement placés: Belvédère du Turet, Florimont, Col de Branvaux, Creux de Praffion, Creux de l’Envers, Roches Franches, Combe de l’Enfer, Brulats Frésy.

les instructions et le matériel pour le comptage, avec boisson chaude pour tenir la journée

Pour ma part, j’étais postée au Chemin Neuf dans le Creux de l’Envers, en compagnie de Daphné Schloesser, chargée de suivis scientifiques à la Réserve, et de Nicodème Peillon, de Pays de Gex Agglo. Nous avons pu observer un individu à la jumelle – j’ai pu constater à quel point il faut être aguerri pour distinguer un juvénile d’un adulte!

Pas toujours facile de positionner la longue vue au bon endroit!

Au total sur l’ensemble des postes d’observation, le plus grand rapace prédateur d’Europe s’est montré à plusieurs reprise. Un couple bien actif a été observé au sud de la Réserve Naturelle, et était visiblement bien parti pour occuper une des aires connues.

Deux aigles, un adulte à priori mâle et un immature ont été observés dans le Nord de la Réserve, sans indices particuliers témoignant d’une reproduction en cours pour l’instant. Toutefois, si l’individu observé sur les différents postes d’observation est bien un mâle, l’absence d’observation de la femelle pourrait s’expliquer par le fait qu’elle couve, ce qui pourra se vérifier dans les semaines suivant les observations.

Un autre aigle a été observé sans que l’on sache s’il s’agissait d’un individu du couple du sud ou du nord ou bien d’un individu distinct.

Bien sûr, d’autres espèces ont été observées : faucons pèlerins, faucons crécerelles, éperviers, milans noirs et royaux, buses variables et une foule d’autres oiseaux : venturon montagnards, merle à plastron, mésange noire, pinsons du nord et des arbres, pipit farlouse, etc. et même le magnifique tichodrome échelette !

D’autres animaux étaient également au rendez-vous: pour notre part nous avons pu observer un renard, reparti sans bruit une fois qu’il a vu que nous étions au bord du chemin…

Daphné en pleine observation

Les données recueillies concernant l’Aigle royal permettront de mieux cerner le nombre de couples et d’individus fréquentant la haute chaine. L’Aigle royal est un oiseau très sensible au dérangement durant la saison de reproduction, qui s’échelonne sur plusieurs mois.

Gaëlle Lauby Cuillerot

Les suivis scientifiques

Interview de Daphné SCHLOESSER, Chargée de missions scientifiques

Peux-tu te présenter ? Travailles-tu pour la Réserve depuis longtemps ?
Après un master en écophysiologie et éthologie animale, j’ai réalisé un service civique au sein de la Réserve Naturelle Nationale de la Petite Camargue Alsacienne, puis j’y suis restée en tant que chargée de mission sur un projet visant à intégrer les enjeux du changement climatique dans la gestion des espaces naturels. J’ai ensuite travaillé sur le recensement du “Grand Hamster”. Je travaille pour la Réserve naturelle nationale de la Haute Chaine du Jura depuis juillet 2021.

Quel est ton rôle au sein de la Réserve ?
Je veille notamment au bon déroulement des inventaires et suivis scientifiques sur le terrain, j’assure la gestion, l’exploitation et la valorisation des données issues de ces suivis, je renforce les partenariats pour les études, et j’anime le conseil scientifique en appui du conservateur.

Tu t’occupes des suivis scientifiques. De quoi s’agit-il ?
Quand on parle de suivis scientifiques, il s’agit d’opérations qu’on répète dans le temps, pour avoir un suivi de l’état des populations comme par exemple dans le cas du comptage des coqs de Grand tétras sur les places de chant. On parlera d’ « études » quand c’est ponctuel: par exemple récemment il y a eu une étude de bryologues (spécialistes des mousses) sur le Creux de l’envers, ils nous ont fourni un inventaire des espèces de mousses présentes sur ce secteur.

Peux-tu me parler des suivis scientifiques en cours actuellement ?
Nous avons le suivi Phénoclim (https://phenoclim.org/accueil/le-projet ) par rapport au changement climatique au niveau national: on suit la phénologie (la temporalité de certains évènements en lien avec les saisons ) des arbres, c’est-à-dire que l’on note à quel moment se produisent par exemple le débourrement (ouverture des bourgeons) et la floraison. Toutes les semaines, nous allons relever à quel stade en sont une liste d’arbres situés à des emplacements variés en altitude: par exemple au Creux de l’envers, à mi-chemin dans la montée vers le col de la Faucille et une au niveau du col. Sur le long terme, ce suivi nous permettra de voir s’il y a une avancée de la phénologie avec le changement climatique.

Concernant la faune, nous avons le suivi du faucon pèlerin (https://www.facebook.com/RNNHCJ/videos/303614651662655) dont l’objectif est de savoir combien on a de couples de faucons nicheurs chaque année et d’estimer la réussite de la reproduction selon le nombre de jeunes à l’envol. En février-mars, nous avons vérifié chaque aire connue pour voir si des individus adultes étaient présents et avaient des comportements pouvant signifier une éventuelle reproduction (parades en vol, cris territoriaux, visites de l’aire, accouplements, etc). On y est retournés depuis pour poursuivre le recensement des couples territorialisés, et on verra en début d’été le nombre de poussins à l’envol pour les couples reproducteurs ayant pondu.

Jeunes faucons pèlerins. Photo: Marceau Duraffourg

Nous avons aussi le suivi des pontes de grenouilles rousses, aussi dans le cadre du protocole Phénoclim. Nous allons les voir toutes les semaines dans 2 mares, et nous comptons le nombre de pontes et lorsqu’il y aura des têtards nous relèverons à quel moment ils auront atteint le stade 3 (les têtards n’ont plus de branchies mais pas encore de pattes arrière). Ce suivi permettra sur le long terme de voir s’il y a des évolutions sur les dates des évènements en lien avec le changement climatique et la modification de l’enneigement.

Nous avons aussi un suivi du Grand Tétras comme mentionné précedemment. Les affûts sur les places de chant commencent mi-avril; également un suivi de l’aigle royal avec une opération de comptage simultané qui s’est déroulée en mars (voir article sur le comptage de l’aigle royal https://www.arn-nature.fr/2021/03/27/comptage-des-aigles-royaux/ ) ; un suivi des lynx effectué principalement à partir de pièges photo qui a lieu tous les deux ans (voir article https://www.arn-nature.fr/2022/02/02/tout-savoir-sur-le-suivi-des-lynx/ ) ; un suivi des loups avec également des pièges photo sur le nord et le centre de la Réserve naturelle pour savoir à peu près combien il y en a qui passent et à quelle fréquence.

Nous suivons également les petites chouettes de montagne à savoir la Chouette de Tengmalm et la Chevêchette d’Europe. Il s’agit d’un protocole national mis au point par l’ONF et la LPO que nous appliquons dans la Réserve sur deux sites distincts.

Chouette chevêchette. Photo: Joffrey Ever

On effectue un transect aller (trajet le long d’une ligne fixe et tous les 500m on s’arrête) en fin d’après-midi et un transect retour en début de soirée et on diffuse le chant des chouettes à chaque point d’arrêt pendant un temps limité afin de limiter le dérangement. On écoute s’il y en a qui répondent et on note les résultats. Deux passages espacés de 15 jours sont effectués par l’équipe de la Réserve naturelle chaque année.

Justement, que fais-tu des données recueillies ? Y-a-t-il des échanges de données avec d’autres organismes ou avec la Suisse voisine ?
On compare avec les résultats des suivis des années précédents. Les données sont conservées en interne mais aussi régulièrement échangées avec l’OFB pour le loup et le lynx, l’ONF et la LPO pour les petites chouettes de montagne ou encore avec le Groupe Tétras Jura pour le Grand Tétras. Mettre en place des partenariats n’est pas facile car cela demande du temps et de l’engagement mais nous en mettons de plus en plus en place. Aujourd’hui, il y a encore peu d’échanges de données avec la Suisse mais on espère améliorer ça pour certaines espèces (loup, lynx, grand tétras, etc.).

Quels sont les projets de la Réserve en termes de suivi ?
Nous souhaitons mettre en place du suivi participatif. Par exemple, nous utilisons actuellement une application géonature, dont une version pourrait être facilement utilisée par le grand public pour relever certaines espèces en particulier, faciles à identifier. En parallèle, on souhaiterait aussi développer un petit réseau de bénévoles ayant des connaissances naturalistes plus pointues pour nous aider à développer nos connaissances sur le terrain de certains groupes faunistiques et floristiques comme par exemple les reptiles et les amphibiens.

Merci Daphné !

Gaëlle Lauby Cuillerot

Edito newsletter juin 2022

Chers amis,

Une page se tourne pour l’Association pour la Connaissance de la Nature Jurassienne (ACNJ).

La décision de dissolution de ce qui restera La Flore, chère à nos cœurs, était pour nous ARN autant attendue que redoutée.

La Flore et les ARN, ce sont deux associations siamoises nées dans la foulée de la Loi de 1976, au temps béni que les moins de 40 ans n’ont pas connu, et qui a vu la création de nombreuses associations à la fibre environnementale dont la plupart sont encore membres des Amis de la Réserve Naturelle de la Haute Chaîne.

L’ACNJ, c’est pour nous, ARN, une longue histoire partagée, d’interminables heures à promouvoir puis défendre ensemble la Haute-Chaîne et autres corridors face à des élus plus ou moins rétifs, une quantité faramineuse de dossiers de plus en plus techniques à décortiquer et aussi quelques belles victoires, notamment la création de la Réserve, la plus emblématique. De tout cela, nous leur somment infiniment reconnaissants.

Leur dernière AG du mercredi 11 mai était bien évidemment empreinte d’émotion et de nostalgie. Une AG qui a par ailleurs confirmé l’octroi de 3000 € et l’attribution d’un écran et d’un vidéoprojecteur à notre association.

Nous profitons de cet édito pour les en remercier bien sincèrement. Qu’ils en soient assurés, nous ferons bon usage de ces dons, pour que vive au-delà de l’association elle-même la devise de la Flore « Connaître pour aimer, aimer assez pour protéger ».

Les adhérents de l’ACNJ seront bien sûr les bienvenus aux ARN, pour ceux qui n’en font pas encore partie !

Une association de protection de la nature qui disparaît est toujours une grosse perte pour nous et pour le territoire…

Manuela Arrot et Renée Depraz

Les dents de pierre du moineau

Moineau domestique femelle. Photo: Jean-Christophe Delattre

A TERRE, le moineau ne ramasse pas que des graines. il avale aussi toutes sortes de trucs bizarres : des cailloux, des grains de sable, de minuscules débris de brique, ou de mortier. Tout petits ces cailloux : ils ne mesurent en moyenne qu’ un demi millimètre de long…Et pour les plus minuscules, deux dixièmes de millimètre seulement. Pour les picorer, mieux vaut avoir de bonnes lunettes.  D’ autant que le moineau ne les prélève pas au hasard. Il semble sélectionner les plus rugueux, les plus biscornus…Et il n’a pas peur d’en ingurgiter un sacré paquet : on peut couramment en trouver 300 ou 400 à l’ intérieur d’un seul gésier. A la seconde où ils font leur entrée dans le gésier, ces cailloutis prennent instantanément du galon et son appelés ” gastrolithes” , ce qui pourrait se traduire par “pierres d’ estomac” . Le gésier du moineau n’est en effet rien d’autre qu’ une mini salle de torture entourée de muscles hypers puissants et épais qui se contractent en cadence, concassant, écrabouillant , désintégrant toutes les nourritures coriaces avalées par le moineau. En débarquant dans cet endroit de cauchemar, les gastrolithes réalisent subitement le motif de leur enlèvement: Ils vont être employés comme ouvriers bénévoles , chargés du broyage des graines et des carapaces ultra dures de coléoptères. Et cela en remplacement des molaires que la nature a oublié de visser dans le bec du moineau.

Les gastrolithes s’ accumulent en si grand nombre dans le gésier que leur poids total fait souvent deux fois celui de la nourriture qu’ ils sont chargés de réduire en purée. Bien sûr,  le moineau domestique n’ est pas le seul fakir à s’ empiffrer de cailloux (beaucoup d’ autre oiseaux font la même chose) mais c’ est à coup sûr l’ un des avaleurs de gravillons les plus doués du monde. Et dans le gésier, les cailloutis ne font pas de vieux os : au bout de six heures seulement, quatre sur dix ont déjà disparu et ont été remplacés par des neufs. Comment s’ étonner après ça de voir si souvent des petites bandes de moineaux entrain de picorer des trucs et des machins sur le bord de la route ?

Moineau domestique mâle. Photo: Jean-Christophe Delattre

EXTRAIT DU MAGAZINE LA HULOTTE NUMERO 110 CONSACRÉ AUX MOINEAUX.

www.lahulotte.fr

petit rappel: ne pas donner de pain aux oiseaux !

Extrait choisi par Michel Savoyat

Les fourmis des bois

Lors d’une balade sur la Haute Chaine du Jura, il n’est pas rare de croiser d’impressionnants dômes constitués d’amas de brindilles et d’aiguilles de résineux. Qui sont les mystérieux architectes capables de déplacer des dizaines de kilos de matériaux du sol pour constituer ces œuvres d’art ???

Photo Jean-Christophe Delattre

Eh bien ce sont de simples fourmis, que l’on appelle communément « fourmis des bois » ou « fourmis rousses ». Elles se reconnaissent à leur aspect bicolore, leur thorax étant de couleur rouge alors que leur tête et leur abdomen sont brun foncé. Ce sont de grosses fourmis qui peuvent mesurer jusqu’à 1 cm de long. Attention cependant, d’autres espèces leur ressemblent beaucoup, vous vous doutez bien que rien n’est jamais simple dans la nature !

Photo extraire des 5èmes rencontres jurassiennes

Il existe 6 espèces de fourmis des bois dans nos régions, entre la France et la Suisse. Les distinguer n’est pas chose aisée, alors retenons seulement que la majorité des fourmis rencontrées en altitude dans les forêts du Jura appartiennent à 2 espèces dont le nom est très facile à retenir (ou plutôt à oublier…) : Formica lugubris et Formica paralugubris.  Ces deux espèces construisent de grands dômes pouvant accueillir 150 000 fourmis. Comme chez les abeilles, les colonies de fourmis ont une structure sociale avec une reine pondeuse. C’est le cas chez Formica lugubris. Chez Formica paralugubris, c’est un peu différent. En effet, il peut y avoir plus de 1 000 reines au sein d’une société ! De plus, ces fourmis fonctionnent volontiers en « super colonies », c’est-à-dire que plusieurs fourmilières sont connectées par des pistes et que les fourmis naviguent entre ces différents nids au sein de cette structure dite « polydôme ». L’une de ces « super colonies », très impressionnante, se trouve dans le Jura vaudois. Étudiée depuis plus de 40 ans, elle regroupe 1 200 fourmilières reliées par plus de 100 km de pistes. On estime que 200 millions de fourmis vivent dans cette grande société répartie sur 70 hectares !

Photo extraire des 5èmes rencontres jurassiennes

L’habitat forestier fournit un équilibre entre ombre et lumière recherché par les fourmis des bois, souvent installées en lisière. Il leur procure également les matériaux de construction pour la fourmilière : aiguilles de résineux qui constituent une sorte de toit imperméable et isolant en surface, et brindilles plus longues et entrelacées à l’intérieur pour créer une charpente et des espaces vides occupés par les larves et les cocons. Les fourmis peuvent également creuser des galeries dans le sol pour agrandir le nid.

La forêt offre aussi une alimentation. Les fourmis se nourrissent essentiellement du miellat des pucerons, ces derniers étant surtout présents en quantité sur les conifères. Elles mangent également les pucerons eux-mêmes ainsi que d’autres petits invertébrés qu’elles trouvent sur les arbres ou au sol. Pour trouver (et surtout retrouver) leurs sources de nourriture, les fourmis suivent des pistes marquées chimiquement à l’aide d’une phéromone, et utilisent également des repères visuels.

Les fourmis jouent un rôle non négligeable dans la forêt. Elles réduisent les populations de pucerons et disséminent des graines qu’elles ne consomment pas entièrement. Elles participent aussi à l’aération du sol et au recyclage de la matière organique. Ainsi, les forêts se portent généralement mieux en présence de colonies de fourmis.

Mais comme beaucoup d’organismes vivants, les fourmis subissent des menaces qui fragilisent l’état de santé des fourmilières. Parmi les évènements naturels, il y a la prédation par les pics et certains mammifères. Les dégâts engendrés peuvent être importants mais les fourmis y sont habituées et y résistent sans trop de difficulté. De même, elles peuvent déplacer lentement leur nid pour s’adapter aux variations d’ensoleillement dues à la croissance des arbres. Des branches mortes ou des arbres entiers peuvent également tomber sur la fourmilière. Là encore, les insectes résistent à ces évènements.

Les perturbations d’origine humaine sont plus problématiques. Les nids mal placés peuvent être totalement détruits intentionnellement ou non. De plus, les coupes forestières peuvent changer brusquement l’environnement des nids (passage brutal de l’ombre à la lumière, disparition des pistes chimiques, végétation herbacée qui peut pousser rapidement, recouvrir la fourmilière et brouiller tous les repères des fourmis).

Photo extraire des 5èmes rencontres jurassiennes

Le cumul des perturbations naturelles et anthropiques fait qu’aujourd’hui, les fourmilières disparaissent plus vite qu’elles ne sont remplacées par de nouvelles sociétés. La situation semble moins critique dans les montagnes qu’en plaine, mais globalement les fourmis des bois disparaissent de façon inquiétante. On ne connait pas assez bien leur écologie, d’autant plus que les différentes espèces semblent avoir des exigences environnementales variables. De meilleurs connaissances sont nécessaires. En attendant, il est important de préserver les colonies existantes, en faisant en sorte d’éviter des changements brutaux dans leur environnement. Soyons tous vigilants, et n’oublions pas de prendre le temps d’admirer ces belles formations rencontrées au cours de nos balades !

Jean-Christophe Delattre