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La biodiversité des alpages de la Réserve est-elle en bonne santé ?

La Réserve Naturelle Nationale de la Haute Chaîne du Jura a commencé en 2022 un suivi de la qualité des sols sur 4 alpages (La Chenaillette ; le Gralet ; le Sorgia ; Vieille Maison) sur lesquels des troupeaux de bovins pâturent entre juin et octobre.

Or, la présence de bétail sur les alpages enrichit le sol en matière organique, ce qui peut entraîner une eutrophisation, c’est-à-dire un excès de nutriments (azote, phosphore par exemple) dans le sol et être nuisible pour la biodiversité locale, en favorisant l’émergence de certaines espèces végétales au détriment des espèces d’origine.

C’est pourquoi la Réserve a lancé ce suivi de qualité sur ces 4 alpages, dans lesquels les pratiques pastorales de ces 4 alpages ont évolué: remises en pâturage, aménagements des alpages, etc.

Etude de la végétation
Le Conservatoire Botanique National Alpin a réalisé des inventaires de chaque strate de végétation sur des échantillons de surfaces. Les résultats montrent que ces 4 alpages ont un niveau d’eutrophie moyen, qui varie selon les endroits. Des plantes qui apprécient l’apport en matière organique se développent particulièrement près des endroits où le bétail est présent le plus souvent, comme par exemple autour des bâtiments. Par exemple on peut voir des massifs d’ortie, plante qui apprécie les sols riches en azote.

Ortie

Etude du fonctionnement du sol
Le bureau d’étude Elisol a étudié le fonctionnement biologique du sol en observant sa composition en nématodes, des petits vers (plus de 1 million par m2) dont la diversité en espèces reflète l’état du sol. Les nématodes participent notamment à la décomposition des matières organiques. L’étude a analysé séparément les zones de pelouse et de pré-bois. Les résultats montrent que les sols étudiés ont un relativement bon fonctionnement biologique.

En conclusion, l’analyse de la végétation et du sol montrent que ces 4 alpages sont globalement en bonne santé avec des variations locales. Ces analyses seront reconduites de nouveau dans 5 ans.

Article écrit d’après l’actualité publiée sur le site de la Réserve
et les études du bureau Elisol et du Conservatoire Botanique National Alpin

Gaëlle Lauby Cuillerot

Les naturalistes et la Réserve

L’histoire de la Réserve, nous l’avons vu, n’a pas commencé en 1993 mais remonte au tout début des années 1960 avec les premiers lanceurs d’alerte, des naturalistes locaux bien décidés à faire reconnaitre et protéger la biodiversité extraordinaire de la Haute-Chaine et de sa périphérie. L’un d’eux, notre ami Jacques Bordon, nous a guidé.es dans notre plongée dans les archives, destinée à vous faire (re)vivre quelques moments forts de la gestation et des premiers pas de la Réserve, vus du côté des naturalistes.

Depuis la Haute-Chaine du Jura : vue sur ses deux versants

1962 — 1964. Premiers jalons vers une préservation de la Haute-Chaine
Dès les années 1960, un projet de protection des sommets de la Haute-Chaine est élaboré par quelques personnalités locales passionnées de botanique : le célèbre Dr Corcelle (qui sera aussi à l’origine de feu l’ACNJ), M. Moreau, pharmacien de Collonges ou encore le professeur Piquet. En avance sur leur époque, ils pressentent la nécessité de préserver les richesses naturelles de la Haute-Chaine des menaces qui la guettent. Le projet est rejeté par les élu.es.

1974 – 1979. AGENA, notre aïeule
Accusée à tort d’être sous la coupe de « gauchistes », l’AGENA (Association GEssienne de défense de la NAture) ne reçoit pas le soutien des élu.es. Bien que son projet de Réserve, soutenu par 26 associations, n’aboutisse pas à cette période, l’AGENA pose de premiers « petits cailloux » dans l’esprit des Gessiens, faisant progresser l’idée d’une Réserve.
Qui plus est, l’AGENA donnera en 1979 naissance à une autre association… les Ami.es de la Réserve Naturelle !

visite sur le terrain avec des membres du CNPN (JP Raffin – A Reille) accompagnés par J Bordon

1978 — 1984. Une Réserve au cœur d’un PNR ?
En 1979, c’est au tour d’élu.es, mené.es par le sénateur Roland Ruet et le maire de Farges, Daniel Juliet, de porter un projet de protection mais ils envisagent un espace protégé restreint, au cœur d’un vaste PNR (Parc Naturel Régional), outil de développement territorial et non protection. Les élu.es rejettent le projet de peur de générer une « usine à gaz » (dixit Roger Anselme !).

1985 – Retour en grâce de l’idée de Réserve
Certain.es élu.es, notamment Roland Ruet et Pascal Meylan, maire de Ferney, se rendent à l’évidence : le développement urbain et touristique du pays de Gex et de la Haute-Chaine, qui s’accélère, ne peut se faire sans préserver le patrimoine naturel du territoire. Ils portent donc à nouveau l’idée d’une Réserve Naturelle.

A partir de 1985. Du rêve à la réalité…
La même année, les Ami.es de la Réserve Naturelle, présidé.es par Louis Burnod, déposent un projet associatif définissant les limites d’une grande Réserve et proposant la charte associée. Parmi les naturalistes artisans de ce projet ambitieux, citons Jacques Bordon, Pierre Roncin, Pierre-Maurice Laurent et Jean-Louis Rolandez, ainsi que Jean Dorgelo, chargé de mission.

Il faudra de longues discussions et négociations (voir article de Pierre-Maurice Laurent sur la genèse de la Réserve ) pour trouver un compromis acceptable par tou.tes les partenaires, des élu.es aux propriétaires de chiens, en passant par les chasseurs et chasseuses (parmi lesquel.les le Dr Corcelle). La question de la chasse au sein de la Réserve fait d’ailleurs, toujours de nos jours, couler beaucoup d’encre et de salive…

Parmi les secteurs qui auront pu être placés en Réserve si le projet associatif (14 000 ha contre 11 000 ha finalement retenus) avait été adopté :
• Au Sud, la Réserve intégrerait les précieux milieux naturels de la Combe d’Enfer et des environs du Fort l’Ecluse, notamment ceux aux influences méditerranéennes.
• Côté Valserine, le projet associatif prévoyait de rejoindre la rive gauche de la Valserine (ainsi que la tourbière du Niaizet en rive droite, à Lélex) afin d’inclure toute la diversité des milieux qui occupent la Haute-Chaine dans son ensemble.
• Côté bassin lémanique, l’ensemble des bas-monts aurait bénéficié de mesures de gestion grâce à la Réserve, afin de contrer la fermeture de ces milieux riches floristiquement.
Autres compromis restant à atteindre : mettre fin aux coupes forestières avec engins dégradant les fragiles pessières et au piétinement par le bétail de la seule tourbière à sphaignes de la Haute-Chaine, vers la Greffière. Les discussions continuent…

1987 – Le Conseil National de la Protection de la Nature en visite sur la Haute-Chaine
Le 16 juillet, guidé.es par Jacques Bordon et Christian Grospiron (maire de Lélex et président du « groupe des élus gessiens pour la Réserve »), des représentants du Ministère de l’Environnement et des scientifiques du CNPN (Conseil National de la Protection de la Nature) découvrent quelques joyaux de la Haute-Chaine. En particulier, Chantal Bonnin-Luquot, Antoine Reille et Jean-Pierre Raffin sont impressionné.es par les associations végétales d’exception du Crêt de la Neige que sont la pinède à lycopodes et la pinède sur éboulis froids, de même que le spectaculaire canyon de la Haute-Chaine. Cette visite marquera les esprits des scientifiques et fera avancer la cause du projet de Réserve Naturelle à l’échelle nationale.

1991 – 1993. Le Conseil National de la Protection de la Nature met définitivement la Réserve sur les rails
Quelques années après la venue de certain.es membres du CNPN sur la Haute-Chaine, en complément de la présentation du rapporteur Gilles Benest, deux personnalités gessiennes interviennent à Paris : le sous-préfet de Gex, M. Guillaume, et Roger Anselme qui représentait les élu.es. En tant qu’expert scientifique, Jacques Bordon, par sa connaissance pointue de la flore et la faune de la Haute-Chaine, contribuera à convaincre les scientifiques du CNPN de l’intérêt de la Réserve, qui sera finalement actée en 1993.

Gérée d’abord par GERNAJURA, association regroupant élu.es, propriétaires, alpagistes, ONF (Office National des Forêts), ARN et Amicale des Chasseurs, la Réserve sera plus tard (2003) prise en charge par la Communauté de Communes du Pays de Gex (devenue Pays de Gex Agglo).
Le rôle des ARN n’en reste pas moins crucial pour la défense de la nature de la Haute-Chaine. Outre les actions de sensibilisation à la nature, qui est sans doute la part de nos activités que vous connaissez le mieux, nos bénévoles se font porte-parole des intérêts de la faune et de la flore de la Réserve dans les instances officielles que sont le Comité Consultatif (« Parlement de la Réserve ») et le Comité de Suivi des Travaux (https://www.rnn-hautechainedujura.fr/fonctionnement-2/instances-2/).

1994 – Premières Rencontres Jurassiennes
Grand.es absent.es des instances de gestion de la Réserve Naturelle, les scientifiques doivent par eux-mêmes, à l’initiative de Jacques Bordon, organiser des Rencontres Jurassiennes afin de partager leurs recherches et observations (voir la présentation des intentions dans l’avant-propos des actes de ce colloque). Autour de Jacques, sans prétendre à l’exhaustivité, citons l’énorme investissement d’Alice Thorndahl, Jocelyne Boch et Jacques Duthion ainsi qu’Alexandre Malgouverné, Fernand Jacquemoud, Pierre-Maurice Laurent, Louis Burnod et Jean-Jacques Sacchi, faisant de cet événement une réussite.
Hélas, cette première édition est boudée par les élu.es, ce qui fait dire à Jacques Bordon : « Je déplore l’absence des élus gessiens à ces Rencontres Jurassiennes. Je suppose qu’ils ne jugent pas utile d’être informés sur les réalités scientifiques avant de prendre leurs décisions en matière de gestion du territoire ». Un constat qui, hélas, est encore d’actualité pour bon nombre d’élu.es…

D’autres éditions suivront, sur différents sites, jusqu’à la 6ème édition en 2015 (déjà !) sur le site de la Réserve Naturelle de Remoray (Doubs). Nous ne désespérons pas de pouvoir, un jour, organiser les 7èmes Rencontres qui avaient été annulées en 2021 pour cause de pandémie planétaire…
Véritables colloques scientifiques de grande qualité, ces Rencontres donneront lieu à plusieurs ouvrages regroupant les différentes interventions pour constituer des ouvrages de référence sur l’histoire de la Réserve (dont l’historique de Roger Anselme qui nous a été d’une grande utilité pour cet article !) et la nature de la Haute-Chaine ainsi que sur des problématiques allant bien au-delà de notre territoire, comme la question, toujours d’actualité : « Gérer la biodiversité, nécessité ou fatalité ? ».

A partir de 2006. Enfin, les scientifiques sont écouté.es !
La Réserve Naturelle se dote d’un Conseil Scientifique afin d’éclairer les choix de gestion de la Réserve, comme proposé dès 1984 par les naturalistes dans leur projet associatif.
En 2009, la Réserve Naturelle accueillera même le Congrès des Réserves Naturelles de France.

Deux ans plus tard, la « Maison de la Réserve Naturelle » et son exposition permanente, largement élaborée par Pierre-Maurice Laurent qui continue de réaliser des visites guidées, est inaugurée. Hélas, située au sein de Pays de Gex Agglo, cette « Maison » n’est pas accessible les weekends, ce qui ne facilite pas l’appropriation de notre joyau naturel par les Gessien.nes. Les ARN continuent à défendre la création d’une Maison de la Réserve digne de ce nom, plus largement ouverte au public (voir article sur le Col de la Faucille).

Au fil des années, de nombreuses études ont été conduites sur la Haute-Chaine, parmi lesquelles l’étude d’ampleur concernant le Reculet – Crêt de la Neige (2016), qui a fait l’objet du premier cahier de la Réserve Naturelle (https://www.rnn-hautechainedujura.fr/actu-1/) et a bénéficié d’une présentation au grand public, notamment via des conférences à deux voix réalisées par Jacques Bordon et Alexandre Malgouverné.

Et maintenant… quel avenir pour la Réserve Naturelle dans les décennies à venir ?
Il est entre les mains de l’équipe salariée qui prend soin d’elle (et qui vous dira tout – ou presque – lors de notre AG du vendredi 16 février prochain… à vos agendas !) ainsi que de l’ensemble des gestionnaires et partenaires.
Les Ami.es de la Réserve comptent bien continuer à jouer ce rôle de sentinelle, garante des objectifs de préservation qui ont présidé à la création de la Réserve ! Nous tenterons ainsi de suivre le chemin tracé par les illustres naturalistes militant.es qui nous ont précédé.es !

Marjorie Lathuillière, avec l’aide précieuse de Jacques Bordon

ALICE désormais AU PAYS des MERVEILLES

Hommage des ARN à Alice Thorndhal – St Jean-de-Gonville – 20 août 2023

Alice a fait partie des pionniers, de ceux qui très tôt ont compris que le développement de la Genève Internationale aurait de graves conséquences sur l’environnement gessien. Ce qui l’a incitée à devenir membre actif d’AGENA, la toute première association environnementale du Pays de Gex.

Lorsque, au sein d’AGENA un groupe de travail piloté par Louis Burnod, s’est constitué afin de réagir aux multiples projets urbano-touristiques qui fleurissaient sur la Haute-chaîne, Alice en était.

Quand les Amis de la Réserve se sont créés, en octobre 1979, sous les modestes lambris républicains de l’école publique de Collonges, Alice y était. Elle est même devenue rapidement secrétaire de l’association et y est restée près de 15 ans, le temps de voir la Réserve naturelle être créée, à son tour.

Quand les ARN, en 1994, ont organisé sous la houlette d’Alexandre Malgouverné et Jacques Bordon, les « Premières Rencontres jurassiennes », à Gex, Alice y était. Et elle a réussi, presque seule, à piloter le projet des « Actes » à faire la saisie des conférences, à mettre en page un ouvrage, et à le faire publier un an plus tard. Une performance à une époque où l’outil informatique n’avait rien à voir avec celui que nous connaissons aujourd’hui.

Quand nous organisions une sortie sur le terrain pour découvrir le chant des oiseaux, des fleurs rares, avec l’aide de notre association jumelle « la Flore », quand une rencontre était programmée avec un garde forestier, … Alice y était !

Quand nous avons organisé nos « rendez-vous » au Gralet, pour les 30 ans puis les 40 ans des ARN, Alice y était !

Elle était toujours là quand il le fallait pour appuyer, encourager, aider. Même quand elle avait de la peine à comprendre les querelles byzantines auxquelles les responsables de l’Association étaient confrontés dans la gestion de la Réserve, au sein de GERNAJURA. Son bon sens, sa droiture, sa franchise, sa sincérité … ont toujours été surpris par ces empoignades franco-françaises, bien éloignées de sa culture et de son mode de vie.

Mais à la Faucille le 2 septembre prochain, elle ne sera pas là pour fêter les 30 ans de la Réserve.

Car Alice n’est plus là. Nous qui la connaissions bien savons qu’avant de partir elle a pris soin de déposer devant notre porte le flambeau de son amour de la Nature et de la Haute-chaîne du Jura. A charge pour nous de prendre le relai… 

Alice, nous garderons de toi le souvenir de quelqu’un de fortement engagé, de très volontaire pour mettre en œuvre nombre d’actions de protection de la nature correspondant à tes convictions. Nous savons aussi que si tu étais un pilier des ARN tu étais en parallèle engagée sur bien d’autres fronts.

Ton énergie, ton optimisme nous galvanisaient. Ton sourire lumineux, ton regard rieur nous manquent déjà. Merci Alice, les Amis de la Réserve te sont infiniment reconnaissants pour tout ce que tu nous as apporté.

Pierre-Maurice Laurent, Renée Depraz

Soirée « Réseau Observateurs » organisée par la Réserve Naturelle

Le 11 octobre dernier, Daphné SCHLOESSER, Chargée de mission scientifique au sein de la Réserve Naturelle Nationale de la Haute Chaine du Jura (RN), a organisé une soirée de présentation des différents suivis effectués par la Réserve. Elle a convié à cette réunion différents partenaires et bénévoles dont les ARN. Ces derniers ont répondu présents en force, avec la venue de Manuela Arrot, présidente, Marjorie Lathuillière, secrétaire, et Patrick Joudrier, trésorier. Nos 2 vice-présidents, Michel Goudard et moi-même, ainsi que Michel Savoyat, référent et membre du CA, ont également fait le déplacement.

Le but de cette soirée était de nous présenter les différents suivis scientifiques effectués au sein de la Réserve, ainsi que de la façon dont nous pourrions y contribuer. Voici ci-dessous un résumé de la présentation très intéressante de Daphné, que je remercie au nom des ARN !

Les suivis faune

La RN effectue des recensements et une surveillance de plusieurs espèces emblématiques.

Les oiseaux

Concernant les oiseaux, on peut noter le suivi de 9 sites de nidification potentiels du Faucon pèlerin. Ce faucon, connu pour être l’oiseau le plus rapide du monde avec des vols piqués à plus de 300 km/h, habite en effet les falaises du Haut Jura.

Faucon pélerin. Crédit: Kytabu, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons

Autre oiseau remarquable, l’Aigle Royal, est suivi sur les 2 sites où 2 couples se reproduisent habituellement. Il fait notamment l’objet d’une journée de comptage à laquelle les référents des ARN sont conviés (voir ce précédent article pour plus d’informations).

Bien entendu, on ne peut parler de l’avifaune sans évoquer le Grand Tétras, cet oiseau dont l’avenir n’est pas rose dans le Jura. Daphné nous rappelle que son suivi très délicat ne peut être ouvert à des bénévoles. Elle nous rappelle aussi qu’un autre oiseau de la famille des tétraonidés, la fameuse et discrète Gélinotte des bois, habite également la RN mais ne fait pas pour l’instant l’objet d’un protocole de suivi spécifique.

Deux petites chouettes typiques de nos forêts de montagne, la Chevêchette d’Europe et la Chouette de Tengmalm, sont aussi régulièrement recensées (voir ce précédent article). Ces oiseaux, dont le moindre contact visuel ou auditif fait frissonner n’importe quel ornithologue, vivent discrètement au cœur de nos forêts et sont très difficiles à observer.

Enfin, toutes les données concernant autres espèces d’oiseaux, communs ou non, sont également récoltées au gré des diverses missions réalisées sur la RN.

Les mammifères

Du côté des mammifères, Nos 2 grands prédateurs emblématiques, le lynx et le loup, sont aussi suivis par piégeage photographique essentiellement. Pour plus d’informations sur le suivi du Lynx, vous pouvez consulter le précédent article de Patrick à ce sujet.

Lynx photographié par un piège lors d’une session de recensement.

Le suivi loup, lui, est effectué plus aléatoirement par divers pièges photographiques appartenant à la RN et à 4 bénévoles qui collaborent avec cette dernière. Le principe est d’avoir des pièges bien répartis sur l’ensemble de la RN, avec une densité limitée par secteur. En effet, les diverses observations laissent penser que les loups peuvent être dérangés par les caméras dont ils détectent la présence. Un arrêté préfectoral vient d’ailleurs d’être pris pour cadrer la pratique du piégeage photographique au sein de la réserve . Vous pouvez le télécharger ici:

Toujours du côté des mammifères, un inventaire des chiroptères à l’échelle de la Haute Chaine a débuté cette année, par la pose d’enregistreurs sur le secteur nord, sur la base du protocole national « AltiChiro ».

Reptiles et amphibiens

Cette année, un test à petite échelle du protocole national POPReptile a eu lieu pour réaliser un inventaire des reptiles de la RN. L’an prochain, le protocole sera probablement reconduit. Les données sur les amphibiens, elles, sont récoltées aléatoirement au gré des diverses missions effectuées sur le terrain par les membres de la RN.

Les insectes

Les insectes sont peu recensés. Certaines espèces font néanmoins l’objet d’une attention particulière, de par leur rareté et/ou leur facilité à être observées. C’est le cas de l’Apollon et de la Rosalie des Alpes. Un inventaire des bourdons a également été effectué cette année par un membre du Conseil Scientifique de la RN.

Apollon. Crédit: Michael Schroeren, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons

La Flore

Même si certaines espèces comme le loup, le lynx ou le grand tétras semblent être les espèces phares de la RN, il ne faut pas oublier que cette dernière a d’abord été créée pour la sauvegarde de sa flore remarquable ! Certaines plantes font ainsi l’objet d’un suivi. Il s’agit de la Joubarbe de Fauconnet, suivie par la RN, de l’Orobanche de Bartliing et du Chardon Bleu, ces 2 dernières étant suivies par le Conservatoire Botanique National Alpin.

Le Conseil Scientifique a défini une liste de 15 espèces de plantes pour lesquelles un inventaire et suivi seraient intéressants à effectuer. Un groupe Flore a également vu le jour, composé de membres du Conseil Scientifique et de bénévoles. Ce groupe a pour mission d’aider au suivi de plusieurs espèces végétales d’intérêt, au-delà de la liste évoquée précédemment.

Orobanche de Bartliing : Crédit photo: Réserve Naturelle de la Haute-Chaîne du Jura

Habitats et autres

Pour terminer, Daphné a présenté d’autres suivis. Tout d’abord, un suivi dendrométrique qui vise à mesurer l’évolution de la forêt par différents relevés effectués au cours des années sur 278 placettes d’étude. Deux habitats particulièrement froids et menacés par le réchauffement climatique, les éboulis froids et les combes à neige, font l’objet d’une surveillance particulière. Ensuite, un observatoire a été lancé, dont le principe est de réaliser des études qui serviront à mieux gérer la RN (bonne adéquation entre les activités humaines et les enjeux écologiques). Les études en cours concernent essentiellement les relations ongulés-habitats.

La RN participe également au programme Phénoclim, proposé par le CREA (Centre de Recherches sur les Ecosystèmes d’Altitude), et effectue également un inventaire des vertiges des activités humaines sur la Haute Chaine afin de protéger ce patrimoine historique.

Qui peut participer à ces suivis ?

Le personnel de la RN étant limité, de l’aide extérieure est la bienvenue pour participer à ces différents suivis. L’organisation de cette soirée a d’ailleurs mis en lumière la volonté croissante de la RN à approfondir les connaissances sur la Haute Chaine, au vu des différentes études lancées récemment. Nous avons pu également nous rendre compte de tout ce qu’il resterait à faire sur ce territoire particulièrement riche !

La RN ne cherche pas à inciter trop de monde à participer à ces suivis écologiques, mais préfère se référer à des personnes de confiance. Il est vrai que le territoire de la réserve est une zone fragile sur laquelle il ne faut pas divaguer sans limite. Il est aussi vrai que beaucoup d’études concernent des espèces sensibles, et que certaines informations ne doivent pas être divulguées sans contrôle. A ce propos, nous avons tous été conviés, lors de la soirée, à signer une charte nous engageant à respecter la règlementation de la réserve et à avoir un comportement responsable.

Néanmoins, il existe des outils permettant à chacun d’entre nous de collecter des données sur le territoire de la réserve. Le plus important est l’application « Naturalist ». Proposée par la LPO (Ligue pour la Protection des oiseaux), cette application permet d’entrer des données directement sur le terrain concernant non seulement les oiseaux mais également les autres groupes d’espèces faunistiques. La RN a récemment signé un partenariat avec la LPO pour un échange de données. De son côté, la RN utilise l’application GéoNature Occtax, qui fonctionne sur le même principe que Naturalist. Les données saisies sont automatiquement transmises à la RN.

La restitution des données : Atlas Biodiv’Haute Chaine du Jura

L’ensemble des données récoltées sur la faune et la flore peuvent être consultées en ligne sur le site de l’Atlas Biodiv’Haute Chaine du Jura. Ce formidable outil riche en informations a été développé par le Parc National des Ecrins. Il offre une restitution des données récoltées pour chaque espèce sous forme d’un maillage, et comprend de nombreuses observations historiques.

La soirée s’est terminée par un buffet canadien sur lequel je ne m’attarderai pas, au risque de faire des envieux. L’inventaire de tout ce que nous avions à boire et à manger nécessiterait la mise en place d’un protocole scientifique trop complexe !

Si vous avez des connaissances particulières (en écologie bien entendu, même si en cuisine c’est intéressant aussi…) et que vous souhaitez participer à des suivis avec la RN, je vous invite, dans un premier temps, à entrer en contact avec les ARN. Depuis toujours, toutes les bonnes volontés sont les bienvenues !

Jean-Christophe Delattre

Loup, qui es-tu vraiment ?

Bonjour ! Vous, je vous connais, vous êtes le loup, celui du « Petit Chaperon rouge », les vêtements en moins…

Aaaah… votre « Grand méchant loup » imaginaire ! Il n’a pas grand-chose à voir avec nous mais cause à mon espèce, aujourd’hui encore, bien du tort. Les scientifiques qui nous étudient sérieusement n’ont que peu de poids face à ces contes populaires qui ont bercé votre enfance…

Nous vous donnons ici une occasion de rétablir quelques vérités. Alors pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?

Mon pelage est beige-gris avec une ligne noire très élégante, sur les pattes avant. Considérez que je ressemble à un berger allemand (et ce n’est pas pour rien… voir ci-dessous) avec une taille au garrot de 60-90 cm et un poids de maximum 30 kg pour les femelles et 40 kg pour les mâles. Bien loin des monstres de 80 kg que certain.es d’entre vous certifient avoir croisés…

C’est le grand Linné, en 1758, qui nous a donné le nom scientifique de Canis lupus. Parmi les Mammifères, vous nous avez classés dans l’ordre des Carnivores, famille des Canidés.

Nous sommes plusieurs sous-espèces de « loup » à travers la planète. Pour ma part, je suis membre de Canis lupus lupus. En français, vous nous avez nommés « Loup gris ». Parmi mes cousins proches, il y a le loup arctique (Canis lupus arctos) ou le loup des Indes (Canis lupus pallipes) mais aussi un que vous connaissez très bien : Canis lupus familiaris, j’ai nommé… le chien !

Vous n’êtes donc qu’une seule et même espèce avec notre chien domestique ?

Le chien ami de l’homme © Bridgeman Images

Et oui, le chien n’est rien d’autre qu’un loup que vous avez domestiqué pour vous rendre (de nombreux) services, il y a plus de 30 000 ans.

Revenons à vous : vous faites énormément parler de vous depuis quelques temps car vous êtes de retour en France. Est-ce vraiment un retour ?

Bien sûr ! Jusqu’à il y a environ un siècle, nous occupions tout le territoire français. Malgré les services que notre cousin chien vous rendait (ou peut-être justement parce que vous aviez ce que vous vouliez de nous…), vous avez développé une haine contre nous, nous transformant en coupable facile, allant jusqu’à nous accuser d’enlever vos enfants pour les dévorer alors que vous n’êtes pas du tout à notre goût…

A cause de toutes ces rumeurs contre nous et d’attaques, réelles, sur vos troupeaux, vous avez exterminé jusqu’au dernier loup de France. Heureusement, d’autres contrées ont été plus accueillantes et nous ont permis de nous maintenir en attendant des jours meilleurs.

Je précise que, contrairement à une rumeur persistante, nous n’avons pas été lâchés par des « écolos ». C’est bien par nos propres moyens que nous sommes revenus en France, depuis l’Italie, à la faveur de notre statut d’espèce protégée et grâce au développement des surfaces forestières.

La forêt est donc votre habitat ?

Oui, mais nous ne nous limitons pas aux espaces boisés. Nous sommes plutôt adaptables à ce niveau ; les scientifiques nous nomment « espèce euryèce ». En particulier, dans nos déplacements et notre recherche de nourriture, nous pouvons parcourir de grandes distances et les milieux ouverts ne nous font pas peur. Vous n’avez qu’à lire les livres et/ou visionner les films de Jean-Michel Bertrand pour vous en convaincre (La vallée des loups ; Marche avec les loups et en ce moment : Vivre avec les loups).

Pourquoi parcourez-vous de si grandes distances si vous avez de quoi vous nourrir à un endroit donné ?

Notre vie sociale est très complexe. Quand vous nous laissez un peu de répit, nous nous organisons en meute autour d’un couple dominant (les fameux mâle et femelle alpha) qui se reproduit, avec les jeunes de l’année et des années précédentes. Nos relations sociales sont régies par une hiérarchie stricte. Durant notre adolescence, nous prenons soin de nos jeunes frères et sœurs mais le moment venu, il nous faut quitter notre meute d’origine. Au cours de cette dispersion (qui assure un brassage génétique entre meutes), nous vivons une vie solitaire ou à quelques jeunes, le temps de trouver un nouveau territoire pour fonder notre propre meute ou en rejoignant une meute déjà formée, selon les situations.

Pendant longtemps, l’Ain a été un front de colonisation à partir des Alpes et du Jura, où nous sommes présent.es depuis 30 ans. Seul.es quelques-un.es d’entre nous étaient photographié.es par des pièges-photo (voire vus) chaque année. 2023 représente un tournant pour notre espèce, dans l’Ain. Nous avons été plusieurs à nous déplacer voire à nous installer dans votre département. En particulier, comme vous avez eu la bonne idée de mettre en Réserve les hauteurs de la Haute-Chaine du Jura, les protégeant ainsi de l’urbanisation et autres aménagements, nous y avons trouvé les conditions idéales pour l’installation d’une meute qui a donné naissance à deux louveteaux. Un événement qui ne peut que nous réjouir !

Cela ne s’est pas fait sans tension, notamment avec les attaques d’un troupeau à deux pas de la Réserve. Pourquoi vous attaquez-vous aux animaux domestiques ?

Pour nous nourrir ! En particulier lorsque nous sommes seul.es lors de notre dispersion car il est plus facile pour un loup seul de croquer un animal domestique que de courir après un chevreuil ou un chamois. Quant aux cerfs, notre proie de prédilection, ils ne nous sont accessibles que lorsque nous vivons en meute bien établie car nous pouvons alors réaliser des chasses collectives (une merveille de coopération et d’intelligence, cela dit en passant !). Bien sûr, nous sommes opportunistes donc nous nous adaptons à ce que nous trouvons, quitte à nous rabattre sur de plus petites proies.

Comment justifiez-vous les attaques de plusieurs animaux domestiques qui ne sont même pas consommés ?

Les scientifiques, qui nous ont bien observé.es, ont compris pourquoi nous perdons parfois toute raison écologique. En milieu naturel, quand nous attaquons un groupe d’herbivores, c’est la panique jusqu’à ce que notre proie soit capturée. Dommage pour elle mais pour les autres, l’alerte est finie et ils peuvent retrouver leur calme un peu plus loin. Les animaux domestiques qui sont clôturés continuent à s’agiter en tous sens et stimulent notre instinct stimulé par les proies en mouvement. Il y a alors ce que vous appelez un « surplus killing », comme pour le renard dans un poulailler…

Il arrive également que certain.es d’entre nous, dans leur apprentissage, s’entrainent à tuer alors qu’ils ont déjà été nourris grâce aux chasses collectives.

Enfin, il n’est pas exclu que certain.es d’entre nous se spécialisent dans l’attaque de troupeaux domestiques, par exemple un individu âgé et isolé.

Vous comprenez alors que les éleveurs et éleveuses demandent alors à tuer les loups qui attaquent.

De mon point de vue, vous comprendrez bien que ce n’est pas acceptable ! Mais même en me mettant à votre place, à moins d’avoir affaire à un loup spécialisé dans les animaux domestiques qui commet de multiples attaques, l’autorisation de tir est une fausse bonne idée. En particulier, vos scientifiques savent parfaitement que lorsque les services de l’État décident que nous pouvons être tué.es suite à une attaque (alors que nous sommes une espèce protégée !), le risque est surtout qu’une meute installée soit déstabilisée et que les individus se dispersent. Ce sont alors plusieurs individus qui bénéficiaient de la vie en groupe et qui se retrouvent à devoir se nourrir seul.es… avec donc plus de risques de se tourner vers les animaux domestiques.

Il est préférable de mettre en place des moyens de protection, comme le font déjà de nombreux éleveurs et éleveuses, pour nous dissuader en rendant les attaques sur troupeaux plus difficiles.

Quels sont ces moyens de protection ?

Il en existe plusieurs et ils sont indispensables pour obtenir une indemnisation en cas d’attaque. Pour se protéger, les éleveurs et éleveuses peuvent être aidé.es par les services de l’État ou des associations, comme l’APACEFS (Association des Protections Alternatives pour la Cohabitation de l’Elevage et de la Faune Sauvage), qui pose par exemple des pièges-photo afin de mieux comprendre le comportement du loup (ou du lynx) présent autour d’un élevage et ainsi proposer les moyens de protection les plus adaptés.

Un patou gardant le troupeau ©Emma.Martinet

Les troupeaux peuvent être protégés par des clôtures mais aussi par la présence d’un.e berger ou bergère. Les chiens de protection (« patous » et autres races), à ne pas confondre avec les chiens qui aident le berger ou la bergère à conduire le troupeau (ex. border-collie), savent se montrer dissuasifs si nous tentons d’attaquer un troupeau.

Ils sont tellement dissuasifs qu’il y a régulièrement des problèmes avec des randonneurs ou randonneuses et VTTistes.

Là encore, c’est surtout le manque d’informations qui pousse les humains à envoyer de mauvais signaux aux chiens de protection. Ils sont impressionnants car ils ont été sélectionnés (par vous !) pour cela mais ce ne sont pas des chiens d’attaque. Ils font leur travail (difficile car ils doivent prendre des décisions pour protéger leur troupeau seul, en l’absence d’humain) et cherchent juste à évaluer le danger, quand ils vous voient approcher. Quelques gestes simples suffisent à éviter les problèmes : voir l’article sur la formation proposée par FNE sur les chiens de protection.

Malgré les moyens de protection, il vous arrive tout de même d’attaquer des troupeaux, en particulier cette année.

Certes, les attaques ont été plus nombreuses cette année (18) et ont fait 43 victimes. Toutefois, rappelons que la déprédation par notre espèce ou par le lynx, autre grand prédateur, représente moins de 1 % de la mortalité des ovins et des caprins de l’Ain, contre 5 % à 12 % en raison de maladies ou d’accidents. Cela n’enlève rien au stress subi par les éleveurs et éleveuses dans ces situations mais vous n’êtes qu’une espèce parmi des millions, sur Terre, et il y a peut-être à tenter d’accepter ces attaques (sauf cas exceptionnel comme un.e des nôtres qui n’attaquerait que les troupeaux, peut-être…) comme vous acceptez les maladies et les accidents… ainsi que les conditions économiques qui rendent la vie très difficile aux éleveurs et éleveuses.

Y a-t-il d’autres raisons pour lesquelles nous devrions accepter votre retour ?

Les grands prédateurs que nous sommes sont un maillon indispensable dans un écosystème équilibré. Demandez aux forestiers et forestières : si les grands herbivores causent parfois des dégâts importants sur la végétation, c’est parce qu’ils ont tout loisir de se regrouper dans certaines zones car nous ne sommes pas là ! Quand le lynx ou le loup est présent, nous exerçons une pression de prédation qui pousse ces herbivores à se disperser.

Et je ne parle pas de notre rôle dans l’élimination des proies les plus faibles, la limitation de la propagation des maladies, etc.

Alors, vous pensez que nous pouvons cohabiter pacifiquement ?

Oui, j’y crois ! Et je ne suis pas le seul : nombre d’entre vous sont du même avis et œuvrent chaque jour en ce sens, notamment parmi les Ami.es de la Réserve et d’autres associations de protection de la Nature. La route est encore longue mais nous réussirons bien, un jour, à vivre ensemble. Vous êtes tou.tes concerné.es, directement ou indirectement, par vos choix de consommation pour soutenir les éleveurs et éleveuses ou encore par votre comportement lorsque vous rencontrez un troupeau protégé par des « patous »… Nous comptons sur vous !

Marjorie Lathuillière

PS: Et qu’en est-il chez nos voisins suisses? Cf la lettre ouverte rédigée par de nombreuses associations sur la décision de la Suisse de tuer 70% de sa population de loups.