Autrement plus respectueuses de la nature que celles du Mans, les « 24 heures naturalistes » sont nées en Drôme. C’est la FRAPNA locale (Fédération Rhône-Alpes de Protection de la NAture devenue depuis FNE – France Nature Environnement) qui a imaginé cet évènement, en partenariat avec d’autres associations. Le concept ? Réunir des naturalistes de toutes les spécialités pour inventorier la flore et la faune (diurne et nocturne, d’où les 24 heures) sur un territoire insuffisamment prospecté et/ou menacé par des projets. Ou comment se faire plaisir dans la nature peut contribuer à la préserver !
Après la Drôme, toutes les FRAPNA des autres départements de feu la région Rhône-Alpes ont repris l’idée. Pour l’Ain, c’était en 2006. Pendant plusieurs années, à la faveur d’anciens temps qui voyaient les associations bénéficier de financements publics et/ou privés plus facilement, les 24 heures ont marqué l’année naturaliste de chaque département. Ornithologues, botanistes, entomologistes, bryologues, mammalogues, lichénologues, arachnologues et autres malacologues se donnaient rendez-vous le temps d’un weekend et fournissaient des centaines de données en un temps record. En général, le weekend se terminait avec des sorties et/ou une présentation des observations pour le grand public. L’idée a logiquement essaimé au-delà des frontières de notre région, souvent en changeant de nom au passage.
Échanges de savoirs : l’école de la nature en plein air
Les temps politiques ont changé et il est devenu de plus en plus difficile pour les associations de trouver des financements pour organiser, animer et valoriser ces inventaires naturalistes. Certaines associations ont choisi de proposer tout de même ce rendez-vous, sur leurs fonds propres et grâce aux bénévoles, afin que les naturalistes de toutes spécialités, de tous âges et de tous niveaux continuent à se croiser, échanger, enseigner et apprendre tout à la fois… et passer de bons moments ensemble !
La magie des prospections nocturnes… Ici, un piège lumineux pour papillons nocturnes.
L’édition 2022 a eu lieu en basse vallée de l’Ain, autour d’Ambronay ces 4 et 5 juin et juste de l’autre côté de la « frontière », sur le piémont du Vuache les 28 et 29 mai. Les ARN y étaient ! Du samedi matin jusqu’au coeur de la nuit pour admirer les papillons nocturnes (malgré une forte bise en Haute-Savoie et interrompus par l’orage dans l’Ain), de belles rencontres floristiques et faunistiques au programme : bacchante et cuivré fuligineux, mélique uniflore et raiponce orbiculaire, milan royal et grand corbeau, lichens calcifuges sur un bloc erratique, des haies champêtres et des prairies fleuries…
Mercredi 3 février 2021 en début d’après-midi, Guillaume Cadier (adjoint au conservateur) et moi sortons de la voiture sous une pluie déjà fort sympathique. Nous attachons nos raquettes, enfilons notre sac à dos contenant les deux pièges photos, leur boîtier de protection, leur cadenas et c’est parti! Je suis à la fois tout excité et fier de faire partie des deux seuls bénévoles parmi la quinzaine de professionnels qui participent au suivi du Lynx boréal sur la Réserve Naturelle Nationale de la Haute Chaîne du Jura (RNNHCJ). Après 1km en raquette, les arbres sur lesquels seront fixés les pièges photos sont identifiés par Guillaume. Évidemment, c’est à ce moment-là que la pluie décide de tout donner ! Pour corser l’affaire, la mousse sur le tronc collecte une partie de l’eau qui y ruisselle et la dirige ainsi directement dans nos manches et sur nos mains qui essaient péniblement d’attacher les pièges photos sur le tronc ! Heureusement, un bon thé chaud de retour à la maison ainsi que des petits biscuits vont nous permettre de nous réchauffer tout en discutant de faune sauvage…
Ce suivi lynx (Lynx lynx) a lieu tous les deux ans sur le territoire de la Réserve. Pour cet hiver 2021, la session a été mise en œuvre entre mi-février et début mai. Comme le montre la carte ci-après [1], 13 sites répartis sur 10 communes ont été définis afin de couvrir de la façon la plus homogène possible les 11’000 hectares de la Réserve.
Sur chaque site, 2 pièges photographiques (PP) sont positionnés de part et d’autre d’un chemin afin de capturer les 2 flancs du lynx.
Exemple d’image prise par un PP. On aperçoit derrière le lynx le 2ème PP accroché à l’arbre.
Tout comme nos empreintes digitales, les taches sur le corps du lynx l’identifient de façon unique. Les deux PP l’un en face de l’autre permettront de reconnaître à coup sûr chaque individu afin de ne pas le comptabiliser plusieurs fois. Pour cet hiver 2021, la session a été mise en œuvre entre le 12 février et le 3 mai. Cela correspond à une période effective d’échantillonnage de 80 jours, soit potentiellement 1040 jours-pièges (80j x 13 pièges). Sur chaque site, il faut non seulement installer correctement les PP mais également effectuer les relevés des cartes mémoires toutes les 2 semaines, vérifier leur bon état de fonctionnement, changer les piles si nécessaire, réajuster leur inclinaison si besoin afin que les lynx soient correctement cadrés, éventuellement modifier la puissance du flash, etc.
Pour ma part, l’un des PP s’est mis en erreur par deux fois au bout de quelques jours après le relevé de sa carte mémoire, obligeant à enlever les piles afin de le faire redémarrer. Une surveillance encore un peu plus régulière a permis de ne manquer que quelques journées de capture. Une mise à jour de son micrologiciel a été nécessaire afin de solutionner le problème. Entre ce genre de dysfonctionnement et quelques vols, l’effort d’échantillonnage a été estimé à 978 jours-pièges (contre 1040 maximum) pour cette session 2021, soit 94% de l’effort maximum potentiel. Ces appareils bourrés d’électronique fonctionnent sur piles et sont soumis à de rudes conditions climatiques. Sachant de plus que malgré leur cadenas et l’étiquette mentionnant qu’il s’agit d’un suivi officiel RNNHCJ de la faune sauvage (et sachant qu’il est de bon goût de se balader dans la Réserve avec un gros coupe-boulon dans le sac à dos !) ils peuvent disparaître, 94% est un score plus qu’honorable.
Il existe plusieurs types (et performances) de pièges photographiques. Ceux utilisés pour ce suivi déclenchent une photo grâce à un capteur frontal détectant le rayonnement infra-rouge émis par les animaux. L’éclairage est un flash au Xénon puissant (mais réglable) qui permet de bien figer l’animal sur la photo lorsqu’il passe perpendiculairement au piège.
Les autres types de PP à éclairage à LEDs infra-rouges ou même LEDs blanches ne sont pas assez puissants et nécessitent des temps d’exposition trop important, générant des photos floues donc difficilement exploitables. Les flashs pourraient nous interroger sur le dérangement de la faune. J’ai constaté depuis plusieurs années (en utilisant plusieurs PP autour du même endroit dont certains filmant la scène) que les lynx, ainsi que la plupart des autres animaux, semblent complètement ignorer ces flashs. Il va sans dire que ces pièges photographiques permettent donc aussi de faire des images de nuit !
Le travail mentionné plus haut a été effectué par la Réserve Naturelle Nationale de la Haute Chaîne du Jura (RNNHCJ) en partenariat avec l’Office Français de la Biodiversité (OFB), l’Office National des Forêts (ONF) et la Communauté d’Agglomération du Pays de Gex. Le dépouillement et l’analyse détaillée des résultats ont été effectués par l’OFB.
Au total, 23 captures photographiques ont été prises en compte dans les calculs [1]. Rien n’est simple car 11 « profils » de lynx potentiellement différents ont été distingués mais 2 n’ont été photographiés que sur un seul flanc et sont inconnus dans la base de données. Ils ont été photographiés sur le même site à 30 minutes d’intervalle et possèdent le même type de pelage (grosses taches). Est-ce le même individu qui est repassé devant le PP dans l’autre sens ? Malgré d’autres observations suggérant qu’il s’agit probablement du même individu, il faudra tenir compte de ces 2 différents cas dans les statistiques. D’autre part, un nombre relativement faible de captures et recaptures photographiques durant cette session 2021 rend délicat l’ajustement aux données des modèles mathématiques.
La carte suivante [1] (que vous attendez tous ?) montre la répartition des lynx photographiés ainsi que leur code dans la base de données nationale :
De savants calculs statistiques et probabilistes à l’aide de différents modèles seront nécessaires pour estimer les surfaces effectivement échantillonnées, l’abondance et la densité de lynx dans la Réserve. Dû à un nombre relativement faible de captures et recaptures photographiques durant cette session 2021, on obtient une estimation assez large de l’abondance (+/- erreur standard) [1]: 11 (+/-2) ou entre 7 et 16 lynxavec un intervalle de confiance de 95%. Cette abondance correspond à une densité estimée pour cette zone de 2 lynx/100km² (soit avec un intervalle de confiance de 95%, une densité comprise entre1,3 et 3 lynx/100 km²).
Un autre chiffre intéressant est le « déplacement maximum » moyen des lynx lors de ce suivi qui est de 20km [1]. Le plus grand « déplacement maximum » est quant à lui de 30km (F74_008 en bleu clair ci-dessous) :
Comparé à cette session 2021, très peu de lynx (4 individus identifiés [1]) avaient été détectés lors du suivi 2019 sur les sites de la RNNHCJ. On peut donc espérer que la population de lynx est gentiment en train de se plaire dans notre belle Réserve !
Un grand merci à Guillaume de m’avoir permis de vive cette belle aventure de l’intérieur !
Et pour le plaisir des yeux, les pièges photo font aussi des vidéos, de jour comme de nuit !
Références :
[1] RNNHCJ – Session intensive 2021 de piégeage photographique du Lynx boréal (Lynx lynx) sur la Réserve Naturelle Nationale de la Haute Chaîne du Jura, Sylvain Gatti
Une étude suisse vient de révéler qu’en 2019, plus de 45% de la population avait randonné, faisant ainsi de cette activité le sport préféré des helvètes !
Un chiffre plus récent a même précisé que le fameux cirque rocheux neuchâtelois le Creux-du-Van a vu passer 150 000 personnes en 2020 !
Les associations soucieuses de la sauvegarde de l’environnement s’alarment de ce phénomène amplifié par la pandémie certes, mais sans doute pérenne.
Le Creux-du-Van, emblématique du lieu remarquable proche d’importants réservoirs de population, pose quant à sa fréquentation des questions auxquelles il sera impossible d’échapper ailleurs ces prochaines années : comment concilier promotion touristique et protection de la nature ? Organiser, canaliser et éduquer le public suffira-t-il ? Suprême dilemme : pourquoi interdire un accès légitime de tout un chacun à la beauté de lieux exceptionnels au nom… de la protection de ceux-ci !
Certaines expérimentations semblent confirmer que profiter de la nature c’est aussi se responsabiliser à la respecter. Ainsi dans le Canton de Vaud, l’abandon de la mise à disposition de poubelles a réduit l’abandon de déchets…
Mais il reste indéniable que la surfréquentation favorise les dérapages.
Alors qu’en sera-t-il de l’opposition entre certains, BirdLife par exemple, prêts à la mise en place de quotas de visiteurs, et d’autres, comme le Club alpin suisse, prônant un libre accès moyennant une sensibilisation ?
« Après moult rebondissement, il n’y aura finalement pas de centre routier à La Vattay »
C’est le titre de l’hebdomadaire « le Pays Gessien » paru le 16 septembre 2021. Et cela a été une sacrée bonne nouvelle pour les ARN, pour la Réserve naturelle, pour la Haute Chaîne … !
Il faut dire que l’on revient de loin, comme le rappelle, dans les grandes lignes, l’article.
Il a fallu toute la détermination de l’Association de La Vattay, présidée par la petite fille du pasteur Edouard Pasquet, lequel avait réalisé le centre de vacances de (aujourd’hui) l’ADAPEI, et toujours propriétaire du terrain convoité pour la réalisation du Centre routier.
Il y a 2 ans, tout juste, les ARN ont diffusé une « lettre ouverte », très argumentée contestant le projet, tant sur le fond que sur la forme. Un certain nombre d’élus et de professionnels, soucieux de préserver la qualité du site nordique de La Vattay s’étaient, également, émus d’un projet inapproprié à cet endroit.
Une erreur cartographique a aussi été mise en évidence : la carte IGN Top 25, par exemple, indique une limite erronée (beaucoup trop vaste) de la zone « hors Réserve » dans le secteur. Ce « détail » aurait pu avoir de lourdes conséquences …
Le renchérissement, d’année en année, du coût financier a porté l’estocade…
La sage décision de Pays de Gex Agglo
Les élus de Pays de Gex Agglo ont eu l’immense mérite de savoir arrêter à temps un dossier mal emmanché. C’est tout à leur honneur et, au premier rang, à son président, Patrice Dunand, qui n’avait pourtant pas ménagé son soutien au projet dans la précédente mandature.
Les ARN ont acté cette décision avec satisfaction. Ils l’ont fait savoir à Pays de Gex Agglo et à son président. Ils sont prêts, comme ils l’ont fait, récemment encore pour la mise en valeur patrimoniale du site de La Faucille, à apporter leur expertise sur le réaménagement de ce site dans l’optique d’un tourisme « 4 saisons » basé sur le développement durable.
L’objectif des Zones de Quiétude de la Faune Sauvage (ZQFS) mises en place par la Réserve naturelle est de limiter et, si possible, empêcher le dérangement de la faune sauvage pendant les six mois de l’année où elle est la plus fragile.
Dans la petite vidéo de France 3, ci-dessous, les gardes de la Réserve expliquent l’intérêt de ces zones.
Elles sont importantes l’hiver parce que le froid, la neige, le repos végétal … limitent drastiquement les ressources alimentaires des animaux. Par exemple, le Grand Tétras doit se contenter des aiguilles de sapin et de pin à crochets (et pas des épicéas, trop coriaces, pourtant bien plus abondants !) ; il perd 30% de son poids et le moindre dérangement répété peut lui être fatal. Le printemps venu, c’est l’époque des parades, des accouplements, puis de la couvaison et de l’élevage des jeunes, particulièrement fragiles pendant les premières années de leur vie. Et cela est vrai pour toutes les espèces y compris les mammifères comme le Chevreuil, le Chamois, le Lynx, … C’est pourquoi l’interdiction de circuler au sein des zones de quiétude va du 15 décembre (ou aux premières neiges) jusqu’au 30 juin (sauf pour les Platières, au-dessus de Gex, jusqu’au 15 mai).
Les zones de quiétude correspondent donc aux « sanctuaires » de la faune sauvage, notamment pour le Grand Tétras, emblème de la Réserve. Elles ont été établies par arrêté préfectoral, conformément au plan de gestion de la Réserve. Leur localisation figure sur les panneaux de la réserve et sur les cartes qu’elle publie (dépliants et/ou site www.rnn-hautechainedujura.fr). Elles occupent un gros ¼ de la réserve naturelle et sont au nombre de 7. Elles sont balisées sur le terrain par des panonceaux fixes et, au début de l’hiver, les gardes tendent des banderoles à l’entrée des itinéraires les plus fréquentés l’été et à proximité des parkings des zones touristiques.
La randonnée, sous quelque façon que ce soit, y est interdite pendant cette période. A l’exception de quelques itinéraires (notamment le GR9) afin de permettre aux randonneurs de rejoindre et parcourir les crêtes, à condition de ne pas sortir de ces « sentiers ». C’est également le cas des pistes de ski de fond du site nordique de la Vattay, soumis à un régime spécifique (dameuses autorisées). La chasse et l’agrainage sont également interdits pendant cette période.
Ces contraintes sont nécessaires de notre part pour offrir une chance à la faune sauvage de se perpétuer malgré une fréquentation touristique grandissante sur la Haute Chaîne du Jura. Acceptons-les de bon cœur !