La fascinante migration des oiseaux

Quelle idée de voyager autour du monde pour tous ces oiseaux migrateurs ? Ce phénomène mondial annuel a de quoi nous impressionner, nous, les hommes, incapables de nous déplacer sur de grandes distances sans un précieux carburant qui nous montre en ce moment à quel point nous en sommes dépendants !

Vol de Grands Cormorans

La plupart des oiseaux effectuent de grands voyages 2 fois par an, une fois à l’automne pour quitter leur territoire de reproduction et rejoindre leur quartier d’hivernage, et une fois au printemps pour faire le contraire. Mais pourquoi ne pas rester toute l’année au même endroit, et ainsi s’éviter ces voyages épuisants pleins d’obstacles ? Certains le font, comme beaucoup d’oiseaux forestiers et de rapaces. On pense souvent que c’est le froid de l’hiver qui pousse les oiseaux à fuir. En réalité, les oiseaux résistent très bien au froid, j’en prends pour preuve le Roitelet, plus petit oiseau d’Europe, qui, du haut de ses 4 grammes, passe l’hiver sans problème dans nos montagnes, pour peu qu’il puisse s’alimenter.

Roitelet huppé, 4 grammes sur la balance, et même pas froid en plein hiver !

C’est donc plutôt l’effet du froid sur l’accès à la nourriture qui motive les voyageurs à partir plus au sud pour passer la mauvaise saison. En effet, plus d’insectes pour les oiseaux insectivores, et la peur, pour les oiseaux aquatiques, de se réveiller un matin les pattes prises dans la glace !

C’est ainsi que chaque année, plusieurs milliards d’oiseaux se lancent dans de grands voyages plus ou moins longs. Pourquoi tel oiseau migre plus loin qu’un autre ? On n’explique pas tout, mais ce qui est sûr, c’est que tout le monde ne peut pas passer la mauvaise saison au même endroit, sinon il y aurait beaucoup trop de monde à nourrir ! Certains oiseaux n’effectuent que quelques centaines de kilomètres, alors que beaucoup d’autres n’hésitent pas à rejoindre l’Afrique subsaharienne. Les oiseaux sont naturellement entrainés pour effectuer de longues distances, à en rendre jaloux nos plus grands sportifs et à faire pâlir les tests anti-dopage du Tour de France. Nos hirondelles parcourent plus de 5000 km avec des étapes journalières de plus de 300km (l’hirondelle noire, oiseau américain, effectue même des étapes de plus de 800km !).

Hirondelle rustique de retour au printemps après un long voyage.

Les petits passereaux (famille qui regroupe beaucoup de nos oiseaux de petite taille) migrent moins vite, mais certains effectuent des distances impressionnantes : Le Pouillot fitis, petit oiseau de 8 grammes, détient un record avec une migration maximale de 15000 km entre la Sibérie et l’Afrique du Sud. Ce voyage lui prend plus de 100 jours, et il doit l’effectuer 2 fois par an ! Le record absolu de distance de migration est détenu par la Sterne arctique, qui passe tout simplement du pôle Nord au pôle Sud pour passer l’hiver, effectuant un voyage de 35000 km en 3 mois. Elle s’autorise, bien entendu, quelques détours en route. Les rapaces, eux, effectuent aussi de grandes distances, mais ayant une grande maitrise du vol plané, ils jouent avec les thermiques et les vents pour se déplacer sans effort.

La Sterne arctique, détenteur de la plus longue distance de migration. Photo: Christian Bickel (Soure: Wikipédia)

Les prouesses des oiseaux ne s’arrêtent pas là. Certains font des étapes de plusieurs jours sans s’arrêter, et peuvent voler très haut, à 8000 mètres d’altitude. C’est le cas des cygnes, des oies et des limicoles (oiseaux des marais). L’oie à tête barrée, qui porte bien son nom, passe au-dessus de l’Everest. Cela lui évite un « petit détour » parait-il… Là-haut, des vents peuvent souffler à 200 km/h, et les oies arrivent à en profiter même si elles ne sont pas propulsées tout à fait dans la bonne direction. Les oiseaux sont naturellement dopés pour transporter l’oxygène qui se fait rare là-haut, et ils résistent sans problèmes aux températures de -30°C. L’oiseau qui détient le record de la plus longue étape sans pause est la Barge rousse (elle aussi porte bien son nom…) : 12200 km entre l’Alaska et la Nouvelle Zélande. Elle traverse tout simplement l’Océan Pacifique pour éviter les détours par la côte !

Les océans font d’ailleurs partie des nombreux obstacles que rencontrent les oiseaux durant leur voyage. En général, ils traversent les mers et les océans au plus court. Pour rejoindre l’Afrique depuis l’Europe, le détroit de Gibraltar est l’endroit le plus fréquenté, surtout pour les rapaces. Le Sahara est également un obstacle inévitable pour 2 milliards d’oiseaux. Comment traverser cette bande de désert de 2000 km ??? La traversée se fait en plusieurs étapes pour tous les oiseaux, essentiellement de nuit. La journée, ceux-ci se reposent dans une oasis pour les plus chanceux, où à l’ombre d’une pierre pour les autres. Impossible de se nourrir en route, il faut donc faire de grosses réserves avant de se lancer dans l’aventure. Un passereau peut ainsi doubler son poids en seulement quelques jours avant d’entamer la grande traversée ! On appelle cela l’hyperphagie.

Le petit Rossignol fait partie des migrateurs qui traversent le Sahara deux fois par an.

Parmi les autres obstacles, les conditions météorologiques peuvent également clouer les oiseaux au sol. Et comme si cela ne suffisait pas, l’homme apporte aux migrateurs d’autres embûches. Les lumières artificielles désorientent et attirent les oiseaux, les lignes électriques ont raison de beaucoup de grands oiseaux, et la chasse ainsi que le braconnage en rajoute une bonne couche dans beaucoup de pays traversés. Et ne croyez pas que la France est un bon élève de ce côté-là, car nous continuons à massacrer par milliers des espèces qui pourtant sont en régression à grande échelle ! Vous vous doutez que beaucoup d’oiseaux restent sur le carreau durant leur long voyage. Chez les jeunes passereaux inexpérimentés, c’est 1 oiseau sur 2 qui ne survit pas à sa première migration.

Pour finir, il y a encore une chose fascinante dans ce phénomène de migration, c’est la capacité de nos voyageurs à trouver leur chemin et surtout à s’orienter. Pour trouver sa route, un oiseau possède un programme génétique qui lui permet de migrer pile au bon endroit en passant pile par là ou il faut, et ceci sans ne rien connaitre à la géographie. Les oiseaux sont également capables de s’orienter dans l’espace, et de développer une mémoire au cours de leurs voyages qui leur permet de se constituer une véritable cartographie et de naviguer avec la précision d’un GPS. C’est ainsi qu’une hirondelle retrouve son nid d’une année sur l’autre et qu’un pigeon voyageur retrouve son pigeonnier même après avoir été déplacé de plusieurs milliers de kilomètres.

L’hirondelle rustique peut retrouver son nid d’une année sur l’autre après s’en être éloigné de 5000 km.

Cette capacité d’orientation conserve beaucoup de mystères. On sait que des oiseaux utilisent le soleil, d’autres les étoiles, d’autres des repères visuels comme les montagnes, mais c’est probablement le magnétisme terrestre qui sert le plus aux oiseaux. On a détecté chez le pigeon voyageur des cellules capables de mesurer le champ magnétique dans le bec et dans l’œil droit… mais il reste beaucoup à découvrir.

C’est donc ainsi que chaque année, le balai des oiseaux migrateurs se perpétue dans le ciel. Vous l’avez sûrement remarqué, beaucoup d’oiseaux se sont raréfiés, les hirondelles disparaissent. Nos pauvres migrateurs subissent en effet de plein fouet les changements globaux, notamment la dégradation des habitats et le réchauffement climatique qui leur rendent la vie encore plus dure, même si l’augmentation des températures permet également à certains oiseaux de raccourcir leur distance de migration. Les capacités d’adaptation des oiseaux est mise à rude épreuve par la brutalité de ces changements, alors restons admiratifs et continuons de contempler tous ces voyageurs de l’ombre et de l’extrême qui se lancent avec courage dans cette grande aventure pleine d’embuches chaque année !

Vous avez d’ailleurs été nombreux à participer à notre sortie au Mont Mourex le 2 octobre, organisée par Stéphane Gardien et durant laquelle nous avons guetté le passage de quelques migrateurs, notamment les milans royaux et les hirondelles.

Jean-Christophe Delattre