Observation d’une famille de lynx

Pour situer le contexte, nous possédons une petite exploitation agricole et une centaine de moutons environ. Nous travaillons à l’extérieur à plein temps tous les deux. Ce qui suit date de plusieurs années, mais est encore bien frais dans notre esprit.

Une rencontre inattendue dans le pâturage
Mercredi 9 novembre, mon mari rentre du travail vers 19h et descend à la bergerie, les moutons pâturent aux alentours dans un parc en filets électriques. Voyant qu’il n’y a plus de courant, il parcourt le tour du parc avec une lampe torche et tombe sur un piquet soulevé, dans un creux du terrain et éclaire dans les environs pensant qu’un agneau se serait sauvé, et là il tombe sur une femelle lynx, à une douzaine de mètres avec un jeune mangeant sur un agneau, près de la haie ! Aussitôt il monte me chercher et nous redescendons avec les jumelles, le jeune est toujours là, en train de manger …

Une femelle lynx et deux jeunes
Nous décidons de remonter pour les laisser tranquilles. Plus tard nous redescendons observer, vers 20h30, ils ne sont plus sur le cadavre, mais un peu plus bas, sur un long mur, qui jouxte une cabane en pierre en ruine, la femelle est assise contre le mur de la cabane. Un jeune s’approche d’elle, et surprise, un deuxième arrive !! Il saute sur le toit de la cabane et s’installe, la mère se couche après avoir fait un brin de toilette, comme un chat, et laisse pendre une patte nonchalamment le long du mur ! A un moment donné un jeune en sautant en bas le mur a fait tomber une grosse pierre, nous avons sursauté … nous avons eu plus peur que lui !! Nous les avons observés pendant plus d’une heure en tout cas, à environ 50 mètres de distance. Ensuite ils sont repartis, toujours en marchant sur le mur jusqu’à la haie.

Le mur et la cabane sur lesquels les lynx sont venus


Une deuxième attaque
Nous sommes remontés à la maison, puis une demi-heure après, nous décidons de redescendre pour voir la consommation faite sur la bête. C’est une agnelle de 30kgs environ. Les gigots sont mangés et les viscères un peu dispersées. Tout d’un coup nous entendons un cri inconnu, entre le miaulement et le cri d’une chouette, en contrebas, où nous les avons vus disparaître. On éclaire à la lampe torche et surprise les jeunes sont encore là et je pense qu’ils appellent la mère que nous avons peut-être dérangée …
Nous décidons de quitter les lieux, des observations plein les yeux !! Nous avons bien vu les pinceaux, le pelage, les différentes attitudes de cette petite famille. Difficile de dormir ensuite …

Le lendemain, jeudi 10 novembre, avant d’aller travailler, à 6h, dans la nuit, je décide de retourner voir la consommation. Malheureusement une autre brebis, adulte, a été tuée, et une grosse (60kgs environ) ! Mais uniquement tuée, la morsure au cou bien visible, elle gît à l’écart du troupeau couché, toujours tranquille, comme hier soir. L’autre est tirée plus près de la haie et la moitié du corps (la partie entamée) est recouverte par des feuilles mortes …
Mon mari décide de ne pas aller travailler pour pouvoir préparer la bergerie et rentrer les brebis la nuit !! Le constat de prédation a été fait le soir, vers 17h. A 18h30, je décide de descendre, voulant faire des photos des morsures avec le flash, et stupeur, la femelle est là sur son mur avec les jeunes près de la cabane…Je remonte donc sans faire de photos !
Ne tenant plus, à 21h nous redescendons observer, il n’y a personne, on attend un peu et les voyons, toujours en marchant sur le mur, arriver à la cabane, sauter et se diriger vers la carcasse que nous ne voyons pas. Nous attendons un moment et décidons de jeter un œil plus près, les 2 jeunes sont en train de manger sur le premier cadavre !!
Aucunement dérangés, ils continuent leur festin sans s’occuper de nous …La femelle est dans la haie en retrait, nous observe et nous surveille. Nous décidons de les laisser tranquilles. Il est 22h 30.

Vendredi 11 novembre, avant de partir au travail, mon mari sort les moutons, et moi je vais faire des photos sur les carcasses. La 1ere agnelle est terminé et la brebis a été légèrement consommée, de la même façon que l’autre, par l’arrière-train.
Cette fois, la brebis est trop visible (on est le le 11 novembre, jour férié en France et un chemin passe à proximité) et nous décidons de la cacher à la vue de tout le monde, et la rentrons dans la bergerie.

Dernière visite de la famille de lynx
Le soir, retour du travail et l’angoisse commence, il fait nuit quand nous rentrons et nous craignons une nouvelle attaque… A 18h15, mon mari descend en voiture à la bergerie directement et contrôle tout de suite les moutons, rien, ils sont tranquilles. A pied, il remonte vers la bergerie, et là, il croise la femelle avec ses 2 jeunes qui redescendent tranquillement le chemin !! À une douzaine de mètres… les jeunes partent en trottinant mais la femelle reste tranquille et passe son chemin ! Encore une superbe observation pour lui … peut-être pour le remercier de lui avoir permis de croquer 2 de ses moutons !!
Nous avons ressorti la brebis tuée et l’avons déposée près de la haie, pour la nuit, sans espoir qu’ils reviennent cette fois. Le soir personne n’est venu, mais le lendemain matin, samedi, la brebis était tirée vers la haie et consommée, les 2 gigots et un peu du restant.

Le dimanche matin, elle était pratiquement terminée, et cette fois nous l’avons enlevée définitivement, car les pies et les corneilles commençaient à être trop nombreuses et indicatrices d’un cadavre !!
Nous n’avons plus revu les lynx. Peut-être au printemps à la sortie du troupeau …
Ils sont donc revenus 4 nuits de suite sur les carcasses …

Manuela Arrot

Retour sur les animations “Traces et indices”

Le 14 mars 2023 à Sergy a eu lieu l’atelier « Traces et indices de présence de la faune », animé par Marjorie et Patrick. Cela n’a pas empêché la quinzaine de participants d’avoir été souvent mis à contribution grâce à une ardoise leur permettant de répondre à de petits quiz tout au long de la partie théorique.

Les principaux indices de présence

L’atelier a commencé par introduire le fait que l’on observe beaucoup plus d’indices de présence que d’animaux en direct, ces derniers sortant le plus souvent au crépuscule ou de nuit. Et lorsque l’on sait déceler et reconnaître des traces d’animaux, les sorties dans la nature prennent une toute autre dimension ! Bien que les indices de présence soient extrêmement nombreux, l’atelier s’est concentré sur les trois principaux: les empreintes de pas, les restes de repas et les fèces (crottes).

Patrick en pleine présentation

L’utilité des clés de détermination

A part celles des oiseaux, les empreintes de pas peuvent être catégorisées en trois grands groupes: les plantigrades (blaireau, hérisson, etc.), les digitigrades (renard, lynx, etc.) et onguligrades (chevreuil, chamois, etc.). Après avoir passé en revue une partie des empreintes des espèces que l’on peut trouver dans la Réserve, la présentation de clés de détermination a permis au public en délire de trouver par eux-mêmes à qui appartenaient les différentes empreintes affichées lors du diaporama. Chats forestiers, loups, renards, lynx, martres, hermines, belettes, lièvres, chamois, chevreuils, cerfs, écureuils, blaireaux, mulots… tout y est passé et nos participants sont désormais incollables ! En revanche, pour différencier les empreintes d’un loup de celles d’un chien de même corpulence, seule une belle piste sur plusieurs dizaines de mètres permet d’en acquérir une meilleure certitude. Nous avons donc aussi abordé les voies et les pistes ainsi que les différentes allures des animaux.

Les restes de repas
Concernant les restes de repas, la façon dont les différents animaux (écureuils, rongeurs, oiseaux…) mangent les cônes de pin, les noix ou noisettes a aussi été abordée.

Pour finir, la partie théorique s’est achevée sur les fèces avec quelques photos et dessins de crottes puis après la théorie est venu le temps de la pratique, debout autour d’une grande table remplie d’indices.

Les candidats ont réussi l’examen théorique !

Différentes planches d’animaux avaient été préparées avec des emplacements vides où les participants devaient piocher parmi une multitude d’empreintes en résine en grandeur réelle, photos de pistes ou d’habitats, vrais restes de nourriture ou fèces (qu’on se rassure, dans des bocaux en verre !) pour les placer sur le bon animal. A l’aide des clés de détermination distribuées pendant l’atelier et d’âpres débats, un presque sans faute a été réalisé par tous les participants !

C’est ainsi qu’après 2 bonnes heures, dans la bonne humeur et avec un regard nouveau sur les animaux qui nous entourent que se termina la partie théorique de l’atelier. Un rendez-vous fût pris pour le week-end suivant pour appliquer cette belle théorie sur le terrain…

Et maintenant, la pratique sur le terrain

Le départ est donné vers 8h45 depuis le parking de l’ancienne boulangerie de Crozet pour une montée par la route forestière (avec le moins de voitures possible) jusqu’à la place proche du Chalet Forestier de Pré Galet.

A peine la 40aine de chaussures lacées qu’une fourmilière éventrée nous stoppe net. Pic vert, pic noir, blaireau… ? On ne saura pas mais on a déjà une liste restreinte de coupables potentiels !

Quelques minutes plus tard, de gros trous dans l’écorce d’un épicéa nous orientent vers le pic noir ou vert.

De gros morceaux d’écorces jonchent le sol un peu plus loin avec de bons impacts de bec dans le tronc ainsi à vif. Nul doute, on est dans le royaume des pics !

Quelques instants plus tard, la colonne s’arrête net ! Deux petites boulettes semblent délicatement posées sur une feuille au beau milieu du chemin !

 Il ne peut pas s’agir d’ongulés, elles sont bien trop seules, trop claires et trop rondes. Lièvre d’Europe ? Après auscultation des boulettes à la loupe par une partie de la troupe et consultation des ouvrages de référence, on pencherait plutôt pour un écureuil !

Nous passerons encore 5 minutes dans les parages pour chercher des indices de présence de rongeurs ou d’écureuils sous les conifères. C’est vrai que de nombreuses pommes de pin grignotées à la va-vite façon écureuil confirment l’hypothèse de l’écureuil!

Deux minutes plus tard, une noisette avec un seul tout petit trou est trouvée sur le chemin. Notre spécialiste des petites bêtes (vous avez reconnu Marjorie ?), nous informe qu’il s’agit d’un balanin des noisettes. L’œuf pondu dans la noisette fraîche finira par se transformer en larve qui sortira de la noisette tombée à terre en forant ce petit trou à l’aide de ses mandibules.

Un peu plus loin, nous découvrons un nid haut perché. Il est peu visible et le bâtisseur est bien difficile à déterminer. Il faut quelquefois admettre qu’on ne connaîtra pas l’heureux propriétaire, c’est la règle du jeu !

Ce n’est en revanche pas le cas de ces beaux trous ovales dans un gros hêtre bien lisse et sans branches basses.

Jean-Christophe prend alors la relève et nous explique la vie en long et en large du propriétaire : le pic noir ! Nous aurons la chance d’en apercevoir trois un peu plus loin se poursuivant telles des fusées au beau milieu des frondaisons. Quand je pense qu’on n’est même pas capable de marcher dans les sous-bois en parvenant à éviter toutes les branches… on n’est pas câblés de la même façon !

De nombreux troncs de vieux conifères écorcés ou éventrés par des pics jouxteront encore le chemin, démontrant à qui aurait encore un doute les bienfaits de laisser sur place de vieux arbres se décomposer naturellement.

Le retour vers le parking s’effectue sur la route Forestière, bordée de petites souilles ou zones plus boueuses. C’est la porte ouverte vers les empreintes de pas !

Empreintes de chevreuils, sangliers et blaireaux sont au rendez-vous. On se rend alors compte que leur propriétaire est souvent bien moins évident à déterminer que sur les beaux dessins d’un livre !

On finira en beauté, comme lors de l’atelier théorique, sur des fèces… de blaireau et (probablement) renard :

Après cette sortie fort sympathique de 2h30, la troupe se dit au revoir alors qu’un petit groupe s’enfile sur un chemin dans les bois pour trouver un coin tranquille pour casser la croûte. Comté, saucisson, Savagnin oxydé du Jura et tarte écureuil (c’est la moindre !) de la boulangerie de Chevry viennent terminer en beauté cette sortie ! Je n’ai qu’un seul regret : que la « dame au Génépi » ne soit pas restée pique-niquer avec nous !

Patrick Joudrier

Bertrand Girod de l’Ain

Figure du Pays de Gex, Bertrand Girod de l’Ain nous a quittés, décédé fin janvier à 98 ans.

Brillant intellectuel parisien, il était professeur d’université, spécialisé dans les sciences de l’éducation. Longtemps journaliste au journal « Le Monde » ses analyses faisaient autorité. On redoutait ses remarques caustiques.

On connait moins le rôle qu’il a joué au Pays de Gex, plus discret mais souvent déterminant, notamment dans la longue gestation de la Réserve naturelle de la Haute Chaine du Jura. Sa famille, noblesse d’Empire, possédant de vastes domaines sur la Haute Chaine, sous le col de Crozet, au Fierney et à la Ramaz, Il a mis son talent, ses relations, sa connaissance des « codes » avec l’Administration et les élus, au service de la réserve naturelle, dès le début.. Un atout inestimable.

Il a accueilli, plus d’une fois, dans le château de Chevry, dans une ambiance décontractée et élégante, des réunions d’associations, comme AGENA ou les ARN, où l’on abordait des dossiers complexes. Son intelligence permettait souvent de trouver les bonnes idées.

Bertrand Girod de l’Ain a été, dans les années 1990’ à un moment crucial pour la réserve, membre des ARN. Un appui exigeant, pas toujours commode. Il savait tenir tête aux lobbies et aussi, à l’occasion, aux représentants de l’Etat … En 1996, le mouvement des « Usagers », rassemblement hétéroclite d’opposants de tous poils, plus ou moins télécommandé par quelques élus locaux, a fait les frais de ses réparties cinglantes. Attaché à ses propriétés il n’admettait pas que d’autres, bien moins légitimes que lui, tentent de s’en servir pour sauvegarder leurs intérêts corporatistes, contre la réserve naturelle.

Rien ne l’obligeait à s’engager dans cette véritable action citoyenne, où il n’avait rien à gagner. Mais,  en « grand seigneur », il avait la conviction d’être de son temps, de défendre l’intérêt général et une juste cause pour l’avenir de la planète – comme on dit aujourd’hui –  et des jeunes qui ont toujours été au cœur de ses préoccupations…

Pierre-Maurice LAURENT

La corydale creuse

Les stars du printemps (nivéole de printemps, jonquille, narcisse, dent de chien, crocus) se montrent et accaparent toute l’attention des promeneurs.

Mais il existe une plante discrète qui leur sert de toile de fond, vit en sous-bois et bords de haies et qui mérite notre attention: La corydale creuse avec ses coloris allant du rose foncé au blanc.

Description :

La corydale creuse (corydalis cava L.), aussi dénommée corydale à tubercule creux ou fumeterre creuse, est une plante vivace herbacée de la famille des fumariacées.

Elle tient son nom de la forme en casque de sa fleur (korys en grec) et de son tubercule creux (cava en latin). Elle se caractérise par ses feuilles pétiolées, 2 fois tripartites avec des segments très découpés et dentés.

La tige se termine par un tubercule creux de 1 cm. Sa hauteur est de 15 à 30 cm. Celle-ci supporte une grappe dense d’une vingtaine de fleurs en forme d’éperon arqué en arrière de la pointe. La couleur va du rose foncé au blanc. Elle a des petits sépales simples à la base des fleurs.

Elle possède 2 à 3 graines dans un fruit allongé en forme de gousse pointue de 1 à 2 cm.

Photos: Jean-Loup Gaillard

Floraison – Reproduction :

Elle se produit de mars à mai. Son parfum rappelle le miel.

Elle est mellifère, attire les abeilles noires (apis mellifera) qui la butinent. Les fleurs sont rapidement fécondées, le feuillage fond et les gousses laissent échapper leurs graines qui sont disséminées par les fourmis. La nouvelle plante fleurit 3 ans après sa germination.

Habitat :

Elle se trouve dans les sous-bois, haies, lieux humides et frais, forêts de feuillus calcaires. Ses effectifs sont stables.

Propriétés :

Plante à ne pas ingérer. Son tubercule contient des alcaloïdes toxiques. Cette plante servait comme anesthésique et vermifuge. Aujourd’hui, elle est utilisée, au niveau médical, dans des préparations possédant des effets calmants sur le système nerveux.

Plante avoisinante :

Ne pas confondre avec la corydale à bulbe plein (corydalis solida). Celle-ci a un bulbe plein, sa grappe comporte une dizaine de fleurs. Elle possède des bractées multilobées à la place de sépales simples.

Source: Wikipedia
Source: Wikipedia

Petite info où les voir :

Il y en a à deux pas d’ici. Passez le pont Carnot en direction de Vulbens, montez au pied du Vuache en passant par Chevrier.

Suivez le sentier balisé indiquant l’oratoire, les corydales tapissent le sous-bois. Il y en déjà au parking en bord de route. Les deux espèces sont présentes. De plus, selon les années, mi-mars-début avril, vous pouvez l’observer avec les nivéoles de printemps, les jonquilles, les dents de chien, les violettes.

C’est vraiment féerique !

Jean-Loup Gaillard/Emmanuelle Lugand